Secrétaire national agroalimentaire au sein de la fédération CFTC-CSFV, Philippe Soulard a récemment conduit et signé un accord de branche qui permet d’assurer le maintien de leur couverture prévoyance aux salariés de diverses industries alimentaires, lorsqu’ils sont en congé de proche aidant. Un texte qui protège davantage les salariés aidants en cas de graves accidents de la vie, sur lequel revient ici celui qui milite depuis près de quatre décennies à la CFTC
Philippe, en préambule, pourriez-vous vous présenter et revenir brièvement sur votre parcours syndical ?
C’est un long parcours, qui prend sans doute sa source dans celui de mes parents : ma mère, qui était garde barrière, et mon père, qui était cantonnier, étaient tous les deux adhérents de la CFTC ! Pour ma part, ça fait 39 ans que je suis adhérent de la Confédération, même si je ne me suis décidé qu’en 2000 à occuper mon premier mandat de délégué syndical. En 2005, j’ai intégré le Conseil fédéral, où on m’a chargé de m’occuper des négociations relatives aux conventions collectives qui encadrent les industries de la volaille et du bœuf. En 2011, je suis devenu secrétaire national agroalimentaire au sein de la fédération CFTC-CSFV, ce qui implique notamment de conduire les négociations de branche des industries du secteur.
Quelles industries agroalimentaires sont concernées par cet accord de branche, relatif au congé de proche aidant ?
Elles sont nombreuses, puisque cet accord implique 5 branches des industries alimentaires diverses, qui partagent une convention collective. A titre d’illustration – et sans être exhaustif – le texte engage les industries des biscotteries, des biscuiteries, des céréales prêtes à consommer, de la chocolaterie, de la confiserie, des glaces, sorbets et crèmes glacées etc…
Avant d’évoquer en détail les mesures introduites par cet accord, pourriez-vous d’abord nous définir le terme de salarié aidant ?
Un salarié aidant, c’est un travailleur qui cumule un emploi salarié avec l’activité que représente l’aide d’un proche. S’ils sont peu visibles, ces salariés sont en réalité beaucoup plus nombreux qu’on ne le pense, puisqu’ils représentent environ 4.5 millions d’actifs. Ajoutons, aussi, que de nombreux salariés aidants – la plupart sont des femmes – ne le disent pas à leur employeur. Être aidant, c’est en effet assumer ce qui peut parfois s‘apparenter à une double journée, quitte à parfois perdre en efficacité au travail à cause de la fatigue ou de la charge mentale, si on n’est pas assez accompagné.
Un salarié aidant peut par ailleurs demander un congé de proche aidant, qui lui permet – sur une durée d’un an pour l’ensemble de sa carrière – de cesser temporairement son activité professionnelle pour s’occuper d’un proche. Le salarié n’est alors plus rémunéré par son employeur, mais perçoit une allocation.
Quels nouveaux droits cet accord de branche confère-t-il donc aux salariés aidants?
Avec la CFTC, on discutait depuis un moment avec AG2R – l’assurance prévoyance de la branche alimentaire – de nouvelles dispositions, qui pourraient permettre aux salariés aidants de pouvoir plus aisément déclarer leur situation, sans subir une quelconque forme de discrimination au travail. C’est là que nous nous sommes rendus compte d’une chose, qui nous a semblé anormale : une personne en congé de proche aidant- dont le contrat de travail est suspendu – ne bénéficie plus des dispositifs de prévoyance de sa mutuelle d’entreprise.
Pour rappel, un contrat de prévoyance permet de se prémunir contre des situations graves et difficiles, comme la maladie, l’accident ou encore la dépendance, qui pourraient provoquer une incapacité (partielle ou totale) de travailler. Pour la CFTC, il n’était donc pas acceptable qu’un salarié en congé de proche aidant ne puisse pas bénéficier de cette protection. Si un salarié parent qui est en congé de proche aidant décède, on ne peut pas, par exemple, se résoudre à ce que ses enfants ne puissent pas toucher de rente d’éducation. Cet accord de branche vise donc précisément à mettre fin à cette anomalie.
C’est-à-dire ?
C’est tout simple : le texte prévoit que les salariés en congé de proche aidant puissent toujours être couverts par les dispositifs de prévoyance de leur mutuelle. C’est une belle avancée, d’autant plus que cet accord de branche a déjà eu des échos dans d’autres secteurs, puisque la section Droits et Chiffres de la CFTC (qui représente les professions juridiques et de la comptabilité), souhaite s’en inspirer.
Comment cette mesure est-elle financée?
Là encore, c’est très simple : juste avant que le salarié ne parte en congé de proche aidant, on lui dit que ses garanties prévoyance vont être suspendues – c’est déjà important de le formuler, car beaucoup ne le savent pas. Ensuite, on lui donne la possibilité de maintenir les garanties en question, moyennant le prélèvement d’une cotisation spécifique à la prévoyance (calculée sur un salaire de référence, puisqu’un salarié en congé de proche aidant n’est plus rémunéré par son employeur). En outre, l’entreprise continue de payer sa part de cotisation, allouée à la prévoyance.
Conformément à la loi, l’accord rappelle aussi que le congé de proche aidant ne peut pas dépasser une durée d’un an, sur l’ensemble de la carrière d’un salarié. Est-ce suffisamment dimensionné aux besoins des salariés aidants ?
Absolument pas. Bien souvent, les personnes aidées ont encore besoin d’assistance, alors même que les personnes qui les aident ont épuisé leur droit au congé de proche aidant. A cet égard, la CFTC considère que limiter à un an la prise du congé de proche aidant – sur l’ensemble de la carrière du salarié – est insuffisant. Elle demande donc à ce que la durée maximale du congé rémunéré de proche aidant soit plutôt portée à trois ans.
Par ailleurs, ce texte d’accord sur le congé de proche aidant vise aussi à encourager davantage de salariés à déclarer leur situation à leur employeur. Plus les aidants seront nombreux, plus les partenaires sociaux pourront en effet justifier de la nécessité de leur conférer de nouveaux droits. Par exemple, dans l’agroalimentaire, les salariés peuvent faire des journées de travail qui vont jusqu’à 9 heures : on pourrait négocier que cette durée ne dépasse pas 7 heures quotidiennes, pour les aidants.
Là encore, comment financer ces nouveaux droits et dispositifs, destinés aux salariés aidants ?
Pour la CFTC, plus on élargit le périmètre de mutualisation, plus on sera à même de mieux accompagner les salariés aidants: si on augmente le nombre de salariés et d’employeurs qui cotisent au sein d’une même branche, le pot commun grossit, et les entreprises et salariés de cette branche ont davantage la garantie d’être couvertes grâce aux contributions des autres, qui n’ont pas eu de sinistres.
Ce raisonnement vaut aussi pour les dispositifs qui ne sont pas directement du ressort des mutuelles. C’est le cas de la rémunération du congé de proche aidant, qui rappelons-le, n’est pas assurée par l’employeur mais par les Caisses d’allocations familiales (CAF). On pourrait, par exemple, songer à créer une assurance collective et obligatoire pour la prise en charge de la dépendance, qui intégrerait ces problématiques de financement des aidants et du congé de proche aidant.
Source : AC sur CFTC.fr